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Jacques Merle 

La température moyenne de la surface de la Terre est, avec l’élévation du niveau moyen des océans, l’indicateur le plus pertinent du réchauffement climatique observé depuis le début de l’ère industrielle (aux environ de 1850), période où les premières mesures physiques de température ont été réalisées en routine par les services météorologiques pour les besoins de la prévision du temps.

La communauté scientifique et le GIEC estiment que, depuis cette époque, le réchauffement est d’environ 0,8 °C. Cependant cet accroissement n’est pas uniforme, il présente une variabilité interannuelle importante et, surtout, il est marqué à long terme par des périodes prolongées où la température se stabilise ou même décroît pendant plusieurs décennies comme ce fut le cas entre 1940 et 1970. Plus récemment, depuis 1998, on observe une évolution semblable de la température de surface qui semble se stabiliser et marquer une pause, appelée généralement par les scientifiques et les media le «Hiatus» ou encore «La pause».

Ce ralentissement thermique est déconnecté de l’accroissement des émissions anthropiques de Gaz à Effet de Serre (GES), tels que le dioxyde de carbone et le méthane. Les taux d’émissions de ces GES se maintiennent et même s’accroissent régulièrement pour atteindre maintenant (en 2015) dans l’atmosphère les valeurs les plus élevés que l’on ait pu observer depuis un million d’années, dépassant 400 ppm (parties par million). Comment alors expliquer cette absence momentanée de réponse thermique au forçage des GES, s’ils sont bien la cause du changement climatique ? Cette question est surtout brandie par des sceptiques qui voient là une occasion de semer le doute sur la réalité de la cause humaine du réchauffement actuel, mais elle touche presque tous les domaines de l’océanographie physique étant au cœur de l’interaction des deux enveloppes fluides qui entourent la Terre et dans laquelle nous vivons.

Bien que les années 2014 et 2015 aient vu la reprise de la hausse de la température moyenne globale, ce hiatus thermique a suscité, et suscite encore en 2016, beaucoup de questions et de débats et alimente des controverses pouvant atteindre les milieux gouvernementaux de certains pays, comme récemment aux États Unis. Les «Climato-sceptiques», certes de plus en plus minoritaires, se sont jetés sur cet apparent événement qui démontrait, à leurs yeux, l’origine incomprise et donc naturelle plutôt qu'anthropique du réchauffement climatique. La vigueur de ces débats a suscité plusieurs centaines d’études qui se sont exprimées par des publications de qualité inégale mais touchant à de multiples domaines de la question climatique et impliquant principalement l’océan et l’atmosphère. Presque tous les sujets de recherche touchant aux relations entre ces deux milieux ont été abordés. Ils peuvent se résumer par la question : Comment l’océan absorbe et redistribue la chaleur générée dans l’atmosphère par les GES anthropiques ?
Pour répondre à cette question générale un large éventail de questions secondaires se pose et détermine autant de chapitres :

  • Le hiatus existe-t-il vraiment ?

  • Quel est le rôle des forçages naturels comme le soleil ?

  • Quel est le rôle de la redistribution horizontale de chaleur par l’océan ?

  • Que sait-on du rôle de l’océan profond et du bilan énergétique de la Terre ?

  • Pourquoi cette question du hiatus a-t-elle pris une dimension politique ?

  • Que conclure ?

Cette étude n’est pas une synthèse exhaustive de tous les points de vue scientifiques particuliers exprimés sur le sujet. On rassemble seulement les articles les plus significatifs exprimant un aspect de ce phénomène. Plus qu’un «review paper», c’est une invitation à la lecture à partir de références classées dont il s’agit. Dans chaque chapitre les articles sont classés dans l’ordre de leur citation dans le texte.

1. Le hiatus existe-t-il vraiment?

Le hiatus a commencé à être détecté et à intriguer la communauté scientifique autour des années 2010 où il devint visuellement apparent sur les courbes d’évolution de la température moyenne à la surface de la Terre (Fig 1). C’est probablement un article de Kevin Trenberth ( 1 - Trenberth 2009), dans lequel il évoquait la possibilité d’un refroidissement temporaire de la température de surface de l’océan et mettait en cause la méconnaissance que l’on avait du bilan énergétique de la Terre, qui alerta la communauté scientifique et prit rapidement une dimension polémique . Le graphique semblait montrer, depuis le pic thermique de 1998 consécutif à un puissant «El Niño», qualifié parfois de l’El Niño du siècle, un ralentissement du réchauffement, toujours en cours au moment de sa mise en évidence. Rapidement, autour de l’année 2010, deux camps s’opposèrent :

  1. Ceux qui s’interrogeaient sur des biais possibles introduits par des changements dans les instruments d’observation et avaient tendance à nier l’existence du hiatus.
  2. Ceux pour qui, au contraire, l’absence de corrélation apparente entre les concentrations de GES et la température était la preuve que le réchauffement n’était pas d’origine anthropique et s’acharnaient à clamer auprès des media la réalité de l’origine naturelle de ce hiatus.

Parmi la première catégorie, la réaction de certains auteurs fut donc de mettre en doute et de corriger l’existence même de ce ralentissement du réchauffement en prenant en compte des biais possibles qui auraient été introduits par des changements d’instruments d’observation au cours du temps (2 -Lijing and Zhu 2014) ( 3 - Lyman and johnson 2014), ( 4 - Karl et al 2015). Ce dernier article de Karl et al est à l’origine d’une polémique entre des membres du sénat américain et la NOAA, évoqué plus en détail chapitre 5. D’autres auteurs ont tenté par des analyses statistiques poussées de mettre en évidence une éventuelle rupture dans la série temporelle qui matérialiserait le hiatus. Toutes ont échoué ( 5 - Foster and Abraham 2015) ( 6 - Rajaratnam et al 2015). C’est ce qui amena T. Mann ( 7 - Mann 2015) a évoquer : « le fantasme» de la pause climatique et à demander de bannir les termes de hiatus et de pause !

D'autre part, les changements dans l’instrumentation ont été particulièrement marqués par le déploiement du réseau d’observations autonomes ARGO qui rend accessible à l’observation, à partir de 1998 justement, des régions jusqu’ici mal échantillonnées comme une partie de l’hémisphère sud et les régions polaires ( 8 - Wendel 2015). Avant ARGO la température de surface des océans était principalement estimée in situ à partir des observations des équipages des navires de commerce, avant que les observations spatiales, à partir des années 1970, apportent des données plus homogènes. Cependant cette connaissance de la température de surface de l’océan souffrit longtemps de son sous échantillonnage dans les mers du Sud et au voisinage des pôles que ARGO combla.
ARGO délivre aussi une précieuse information sur l’océan profond (jusqu'à 2 000 mètres de profondeur) permettant d’estimer l’évolution du contenu thermique de l’océan par couches. ARGO a ainsi permis de comparer la répartition de la chaleur dans différentes couches sur la verticale avec la température de surface et de les confronter à des simulations de modèles. C’est ce que fit (9 – Meehl et al 2011) dans un des premiers articles à l’origine du questionnement sur le hiatus. À l’aide d’un modèle et de données Meehl montra que durant les périodes de ralentissement de l’accroissement de la température en surface (hiatus), la couche océanique des 300 premiers mètres absorbait moins de chaleur que les couches plus profondes, ce qui indiquait que le déficit thermique en surface était dû à une plongée rapide de la chaleur dans les profondeurs. Mais Durack (10 – Durack et al 2014) au contraire, montra, à partir d’observations satellites, que le réchauffement des 700 premiers mètres de l’océan est considérablement sous-estimé depuis 1970. En conséquence, d’après cet auteur, le hiatus apparent n’est qu’une conséquence de cette sous-estimation dû à un faible échantillonnage de l’hémisphère sud et à des méthodes d’extrapolation trop simplistes.
Les observations profondes d’ARGO ont permis de mieux estimer l’évolution du contenu thermique de l’océan par tranches d’eau, (11- Roemmich et al 2006) et ainsi de corriger des biais dus aux profondeur maximales atteintes par les instruments de mesure antérieurs, qui ont évolué au cours du temps et sont à l’origine d’erreurs importantes dans le contenu thermique. De plus les méthodes d’interpolation trop sommaires des régions sous échantillonnées, affectent aussi considérablement l’estimation du contenu thermique et sa variabilité.
Dans la deuxième catégorie on trouve des auteurs niant le ralentissement du réchauffement. Certains, prenant en compte le contenu thermique, cherchent à mettre en évidence une rupture statistique dans la série temporelle marquant l’évolution de la température. Peu de publications cependant montrent un hiatus marqué qui serait en désaccord avec les taux d’émissions de carbone fossile. Ce sont principalement des articles de presse, non répertoriés ici, qui rapportent les propos de scientifiques sceptiques quant à l’origine humaine du réchauffement. Ces opposants se manifestent principalement en tentant de montrer la prévalence des forçages naturels, notamment celle du Soleil, pour expliquer l’évolution de la température, incluant le réchauffement et sa pause.

1 - Trenberth K. «An imperative for climate change planning : tracking Earth global energy», Current Opinion in Environmental Sustainability, 2009
2 - Lijing Cheng and Jiang Zhu : «Artifacts in variations of ocean heat content induced by the observation system changes», JRL, 2014.
3 - Lyman JM. And GC. Johnson : «Estimating Global Ocean Heat Content changes in the Upper 1800 m since 1950 and the influence of Climatology Choise», Journal of Climatology, 2014.
4 - Karl T. et al : «Possible artifacts of data biases in the recent global surface warming hiatus», Science Express Reports, 2015.
5 - Foster G. and J. Abraham : «Lack of evidence for a slowdown in global temperature», US CLIVAR Variations, 2015.
6 – Rajaratman B. et al : «Debunking the climate hiatus«, Climatic Change, 2015.
7 - Mann T. : «Le fantasme de la pause climatique», Revue Pour la Science, 2015.
8 - Wendel J. : «Global Warming « hiatus » Never Happened Study says», Eos, 2015.
9 - Meehl G A : «Model-based evidence of deep-ocean heat uptake during surface-temperature hiatus period», Nature Climate Change, 2011.
10 - Durack P. J. et al : «Quantifying underestimates of long term upper-ocean warming», Nature Climate Change, 2014.
11 - Roemmich D. : «Unabated planetary warming and its ocean structure since 2006», Nature climate change, 2015.

2. Quel est le rôle des forçages naturels, tel que le soleil, pour expliquer le réchauffement et le hiatus?

La question du rôle du Soleil dans le changement climatique actuel a été posée depuis le début de la prise de conscience de l’instabilité climatique, il y a plus de 40 ans. Une frange importante de scientifiques des sciences de l’environnement n’était pas convaincue de la responsabilité de l’homme dans le changement climatique. Ils partaient du principe que le Soleil a joué un rôle dans les variations climatiques à l’échelle des siècles, tels que l’optimum médiéval chaud (900 – 1 400 AD) du moyen-âge et le petit âge glaciaire qui a suivi (1 500 – 1 800 AD), et ils mettaient en avant des causes externes naturelles susceptibles de l’expliquer, comme surtout, le Soleil, et aussi l’activité volcanique, et les aérosols. En France les plus ardents propagandistes du rôle du Soleil dans le réchauffement climatique sont Vincent Courtillot et Jean Louis Le Moël. D’autres auteurs admettent l’influence du Soleil mais l’estiment mineure. Le débat est toujours en cours.
Après un article initial (1 - Bard et Frank 2006) alertant la communauté scientifique sur le rôle possible du Soleil sur la variabilité du climat, on peut distinguer deux catégories d’articles :

  1. Les tenants d’une influence déterminante du Soleil sur la variabilité du climat ;
  2. Les tenants d’une faible influence du Soleil sur le réchauffement climatique.

Parmi les tenants d’une influence déterminante du Soleil dans la variabilité du climat, une frange importante de scientifiques opérant dans les sciences de l’environnement n’est pas convaincue de la responsabilité de l’homme dans le changement climatique. Ils mettent en avant des causes externes naturelles susceptibles d’expliquer cette variabilité. Il est vrai que l’activité volcanique, les aérosols et surtout le Soleil ont une influence sur cette variabilité climatique. Ces partisans du tout Soleil sur la variabilité du climat (2 - Courtillot et al 2007), ( 3 - J-L Le Moël et al 2009), ( 4 - Scafetta et B. West 2008), ( 5 - A. Shapiro et al 2011) expliquent le hiatus actuel par le déclin de l'activité solaire, qui est à son plus bas niveau. En particulier V. Courtillot et ses coauteurs, dont Jean-Louis Le Moël, invoquent des corrélations entre des paramètres climatiques et les variations du magnétisme terrestre. Ils distinguent plusieurs échelles temporelles de variations, depuis l'échelle historique (10 - 100 ans), jusqu'à des échelles archéologiques (100 - 5000 ans) et (10 000 – 1 million d’années). Ils constatent aussi que les variations d'amplitude du géomagnétisme à l'échelle décennale sont fortement corrélées avec les évolutions du rayonnement solaire global et la température moyenne de la terre. Ils en concluent que le rayonnement solaire a été le forçage principal du climat jusqu'au milieu de la décennie 1980 où un réchauffement climatique très marqué supplémentaire s’est manifesté, le réchauffement anthropique actuel.

Parmi les auteurs, qui reconnaissent une influence du Soleil, mais la jugent très minoritaire on peut citer : ( 6 - Foucal et al 2006), ( 7 - Duffy et al 2006), ( 8 - A. Shurer et al 2013), ( 9 - Stauning 2011), (10 Stauning 2015)
Pour Foukal et al les variations de la luminosité globale sont trop faibles pour avoir accéléré le réchauffement global tel qui est observé aujourd’hui. Cependant une analyse approfondie de ces données d’observations spatiales détaillées a permis de faire avancer considérablement les connaissances fondamentales sur les changements de la luminosité solaire. Ces résultats nouveaux indiquent qu’il est peu vraisemblable que les changements de luminosité aient eu une influence déterminante sur le réchauffement global constaté depuis le 19ème siècle. Cependant Foukal reconnaît que des inconnues subsistent concernant le rôle de la partie ultraviolette du spectre et l’influence de la magnétosphère.
Pour Schurer et al, le climat du dernier millénaire a été marqué, dans l’hémisphère nord, par des variations d’échelles décennales et centennales telles que le maximum thermique médiéval autour de l'an mil et le petit âge glaciaire à la fin du Moyen Âge. Un modèle permet de comparer l'empreinte climatique des périodes de hauts et de bas forçage solaire avec l’amplitude du changement thermique. Les auteurs trouvent que les changements de température de l'hémisphère Nord au cours du dernier millénaire n'ont pas été fortement influencés par les variations du flux radiatif solaire. Au contraire, depuis 1900, ce sont les éruptions volcaniques qui semblent avoir été le paramètre le plus important susceptible d'influencer le climat, et ceci dans le sens d’un refroidissement.
Quant à Stauning, il a confirmé qu'il existe bien une corrélation entre le nombre de taches solaires et la température moyenne du globe. Cette corrélation est maximale avec un décalage de trois années dans la série des températures. Stauning démontre que la réduction de l'accroissement des températures observée depuis 1980 correspond au déclin de l'activité solaire actuelle. Sans cette réduction de l’activité solaire, la température moyenne du globe se serait élevée continûment au même taux que dans les années 1980. L'activité solaire est maintenant (en 2015) à son plus bas niveau depuis près d’un siècle et elle ne peut probablement pas baisser encore plus ; aussi, nous dit Stauning, la température moyenne de la terre va probablement rattraper son niveau d'accroissement d'avant 1980, effaçant ainsi le hiatus ; ce qui s’est produit à partir de 2015.

1 - Bard E. et M. Frank : «Climate change and solar variability : What’s new under the Sun ?», Earth and Planetary Sciences Letters, 2006.
2 - Courtillot V. et al : «Are there connections between the earth    ’s magnetic field and climate», Earth and Planetary Science Letter, 2007
3 - Scafetta V. et B. West : «Is climate sensitive to solar variability»,
4 - Le Moël et al : «Evidence for solar forcing in variability of temperature and pressure in Europe», Journal of Atmospheric and Solar-terrestrial Physics, 2009.
5 - Shapiro A.I. et al : «A new approach to the long-term reconstruction of the solar irradiance leads to large historical forcing», Astronomy and Astrophysics, 2011.
6 - Foukal P. et al, «Variation in solar luminosity and their effect on the Earth’s climate», Nature, 2006.
7 - Duffy P. B. et al : «Solar variability does not explain late-20th-century warming», Physics Today, 2009.
8 - Schurer A et al : «Small influence of solar variability on climate over the past millennium», Nature Geoscience, 2013.
9 - Stauning P. : «Solar activity-climate relations : A different approach», Journal of atmospheric and solar-terrestrial physics, 2011.
10 - Stauning P. : «Reduced solar activity disguises Global Temperature Rise», Atmospheric and Climat Sciences, 2013.

3. Quel est le rôle de la redistribution horizontale de la chaleur par l’océan?

Plusieurs dizaines d’articles se penchent sur les relations entre le réchauffement de la surface terrestre avec son hiatus et les oscillations thermiques, de périodes décennales, qui affectent principalement l’océan Pacifique. C’est ( 1 - Meehl et al 2013) qui ouvrent le débat avec un modèle qui leur permet de distinguer dans la variabilité du climat des causes externes et des causes internes au système climatique. Meelh indique que les périodes de baisse du réchauffement (hiatus) correspondent à la phase froide de la PDO « Pacific Decadal Oscillation ». ( 2 - Watanabe et al 2014) poursuivent dans ce sens en montrant que le hiatus est en relation avec la PDO et avec le refroidissement du Pacifique équatorial oriental lui-même généré par un renforcement des alizés. Cette relation entre le hiatus et le refroidissement du Pacifique équatorial en relation avec la PDO, les alizés et la circulation atmosphérique de Walker est étudiée par plusieurs auteurs : ( 3 - England et al 2014), ( 4 - Kosaka et Xie 2013 et 2015), ( 5 - Tokinaga et al 2012). Ils donnent une priorité au Pacifique et à l’intensification de la cellule de Walker pour expliquer le hiatus, ( 6 - Capotondi 2015) allant jusqu’à prévoir des décennies froides (La Niña) plus fréquentes et plus intenses ( 7 - Clement et Dinezio 2014). ( 8 - Kosaka et Xie 2013 ) avaient déjà noté en 2012 que le hiatus était consécutif à l’énorme El Niño de 1997 – 1998 suivi par une décennie beaucoup plus fraîche ( La Niña). Au contraire ( 9 - Tokinaga et al 2012) avaient montré qu’a l’échelle du siècle, depuis 1950, une tendance à l’affaiblissement de la circulation de Walker était nette. D’autres encore mettent en évidence les relations entre le hiatus avec l’océan Pacifique mais aussi l’océan Atlantique ( 10 - Mac Gregor et al 2014), ( 11 - Steinman et al 2015), ( 12 - Gleisner et al) et l’océan Indien (13 - Lee et al 2015), ( 14 - Vialard 2015), ( 15 - Nives et al 2015)

1 - Meehl A. et al : «Externaly forced and internally generated decadal climate variability associated with the Interdecadal Pocific Oscillation», Journal of climate, 2013.
2 - Watanabe M. et al : «Contribution of natural decadal variability to global warming acceleration and hiatus», Nature Climate Change, 2014
3 - England M. H. et al : «Recent intensification of wind-driven circulation in the Pacific and the ongoing warming hiatus», Nature Climate Change, 2014.
4 - Kosaka Y. and S. Xie : «Recent global- warming hiatus tied to equatorial Pacific surface cooling», Nature, 2013.
5 - Douville H. et al : «The recent global warming hiatus : What is the role of Pacific variability ?», GRL, 20155 –
6 - Capotondi A. : «Extreme La Nina events to increase», Nature Climate Change, 2015.
7 - Clement A. and P. Dinezio : «The tropical Pacific Ocean back in the driver seat», Science, 2014.
8 - Kosaka Y. and S. Xie : «Tropical Pacific influence on the recent hiatus in surface global warming», US CLIVAR Variations, 2015.
9 - Tokinaga H. et al : «Slowdown of the Walker circulation driven by tropical Indo-Pacific warming , Nature, 2012.
10 - Mc Gregor S. et al : «Recent Walker circulation strengthening and Pacific cooling amplified by Atlantic warming», Nature Climate Change, 2014.
11 - Steinman B. et al : «Atlantic and Pacific multidecadal oscillation and northern hemisphere temperature», Science, 2015.
12 - Gleisner H. et al : «Recent global warming hiatus dominated by low-latitude temperature trends in surface and troposphere data», GRL, 2014.
13 - Lee S. K. et al : «Pacific origin of the abrupt increase in Indian Ocean heat content during the warming hiatus», Nature Geoscience, 2015.
14 - Vialard J. : «Hiatus heat in the Indian Ocean», Nature Geoscience, 2015.
15 - Nieves V., J. Willis and W. Patzert : «Recent hiatus caused by decadal shift in Indo-Pacific heating», Sciencexpress, 2015.

4. Que sait-t-on du rôle de l’océan profond et du bilan énergétique de la Terre?

Il y a seulement 30 ans les observations de l’océan profond (au-delà de 1 000 mètres de profondeur) étaient rares. Depuis cette époque le programme international WOCE (World Ocean Circulation Experiment) a partiellement comblé cette lacune. Mais le progrès le plus décisif a été obtenu avec le réseau ARGO qui maintenant permet d’obtenir une bonne couverture de l’océan mondial jusqu’à une profondeur de 2000 m.
On a déjà noté chapitre 3 ( 9 - Meelh et al 2011) que c’est probablement Meelh qui le premier montra, avec des données et à l’aide d’un modèle, que sous le forçage d’un flux de un Watt par mètre carré au sommet de l’atmosphère, la couche océanique des 300 premiers mètres absorbait moins de chaleur que la couche plus profonde durant les périodes de ralentissement ou d’inversion du réchauffement (hiatus). Le déficit thermique de la surface serait donc dû à une plongée rapide de la chaleur dans les couches plus profondes lors des épisodes de hiatus. Plusieurs auteurs s’engagèrent dans cette direction de recherche et tentèrent d’évaluer à quelles profondeurs et où la chaleur qui manquait en surface s’était stockée plus profondément durant un hiatus ( 1 - Chen et Tung 2014), ( 2 - Balmaseda et al 2013). Une synthèse de cette question fut donnée par ( 3 - Purkey et al 2015).
Mais certains auteurs ne détectent pas cette plongée rapide de la chaleur au détriment de la couche superficielle durant un hiatus ( 4 - Liovel et al 2014), ( 5 - Cole et Buis 2014), ( 6 - Foster et Abraham 2015). Ils mettent en évidence la difficulté de mesurer avec précision le contenu thermique des couches profondes de l’océan, qui nécessiterait des observations de température approchant le millième de degré C.
C’est ce qui amène certains, et parmi eux principalement encore Kevin Trenberth, à s’interroger sur l’irritante question de la chaleur manquante dans le bilan énergétique de la Terre. La question fut posée dès que le hiatus fut mis en évidence ( 7 - Trenberth et Fasullo 2011), mais elle prit toute son importance lorsque l’actualité projeta le hiatus à la une des media (8 - Hansen et al 2011), ( 9 - Schmidt et al 2014), ( 10 - Tollefson 2014), ( 11 - Johnson et Lyman 2014), et encore ( 12 - Trenberth et al 2014).

1 . Chen X. and Tung K.K. : «Varying planetary heat sink led to global warming slowdown and acceleration», Science, 2014)
2 . Balmaseda MA. KE. Trenberth, E. Källen : «Distinctive climate signals in reanalysis of global ocean heat content», AGU, 2013
3 . Purkey S. et al : «Warming the abyss : The deep ocean’s contribution to global warming», US Clivar Variations, 2015.
4 . Liovel W. et al : «Deep-ocean contribution to sea level and energy budget not detectable over the past decade», Nature Climate Change, 2014.
5 . Cole S. and A. Buis : «NASA study finds Earth’s ocean Abyss has not warmed», NASA News, 2014.
6 . Foster G. and J. Abraham : «Lack of evidence for a slowdown in global temperature», US CLIVAR Variations, 2015.
7 . Trenberth KE. And JT Fasullo «Tracking Earth’s energy : from El Nino to global warming», Surv Geophys, 2011.
8 . Hansen J. et al : «Earth’s energy imbalance and implications», Atmospheric Chemistry and Physics, 2011.
9 . Schmidt GA. et al : «Reconcilling warming trends», Nature Geoscience, 2014.
10 . Tollefson J. : «The case of the missing heat», Nature, 2014.
11 . Johnson GC. And JM. Lyman : «Where’s the heat ?», Nature Climate Change, 2014.
12 . Trenberth K. et al : «Earth energy imbalance», Journal of Climate, 2014.

5. Le hiatus prend une dimension politique inattendue

Le président du comité scientifique du Congrès américain «Committee on Science, Space and Technology – US House of Reptesentatives» s’est ému de la publication d’un article, déjà mentionné chapitre 1 (4 - Karl et al, 2015), mettant en évidence une sous-estimation dans le dernier rapport du GIEC du réchauffement à travers une ré-analyse de l’ensemble des données de température de la surface de la Terre. Karl, chercheur à la NOAA, a produit un nouveau jeu de données corrigé, et conclut de cette analyse que ces résultats ne soutiennent pas la notion de “slowdown” de la croissance de la température. En d’autres termes, pour Karl (?), et en réponse aux interrogations posées par une partie de la communauté scientifique, le hiatus n’existe pas.
Cette affirmation a soulevé une tempête parmi les scientifiques proches des lobby soutenant l’exploitation des énergies fossiles carbonatées. D’où une demande de clarification de la part du président de ce comité scientifique du congrès auprès de la présidente de la NOAA, exigeant la délivrance des données brutes (ce qui n’est pas coutumier dans le milieu scientifique), avant leur retraitement par Karl soupçonné de manipulation illicites de données. L’affaire a fait grand bruit aux USA au sein du congrès et dans les media. En janvier 2016 elle n’est toujours pas éteinte.

6 . Conclusions

Les conclusions actuelles (décembre 2015) sur le hiatus peuvent être reprises de celles des deux scientifiques les plus en pointe sur la question, Kevin Trenberth et Gerald Meehl et résumées ainsi :

Trenberth fait le point des connaissances à la mi-2015 sur la question du hiatus. Il critique d’abord l’étude de Karl et al (chapitres 1 et 5) pour qui il n’y a pas de ralentissement perceptible de l’élévation de la température pour la période 2000-2014 si l’on prend en compte des jeux de données légèrement ajustés et corrigés de biais évidents appliqués à l’ensemble de la période 1950 – 1999.

Trenberth lui objecte que sa période de référence 1950 – 1999 inclut une partie d’un hiatus plus ancien, bien marqué celui-là, appelé par certains «The big hiatus» ayant affecté l’ensemble de la Terre au cours des années 1940 à 1970. Trenberth note aussi malicieusement que l’existence du hiatus des années 2000 dépend de la façon dont l’enregistrement des températures est partitionné en incluant ou non dans la série temporelle analysée l’année 1998 exceptionnellement chaude à la suite de l’El Niño de 1997-98 !
Pour Trenberth, la variabilité interannuelle de la température de surface de la Terre est en partie pilotée par El Niño et l’oscillation australe du Pacifique équatorial. L’année 1998 est la plus chaude observée depuis que des enregistrements météorologiques physiques existent (Cependant 2015 a été plus chaud que 1998), correspond à l’El Niño du siècle de 1997-98. Durant cet El Niño exceptionnel, les eaux chaudes couvrirent presque entièrement la surface du Pacifique tropical et nourrirent l’atmosphère en énergie sous forme de chaleur latente liée à l’intense évaporation. Cette chaleur latente d’évaporation, prise à l’océan, contribua à le refroidir durablement pendant plus de dix années, de 2000 à 2014, donnant au Pacifique équatorial l’apparence d’un phénomène La Niña presque permanent avec des alizés intensifiés.

Trenberth met ainsi en évidence une variabilité quasi décennale dans le Pacifique qui peut être rattachée à la PDO «Pacific Decadal Oscillation» elle-même intégrable dans l’IPO «lnterdecadal Pacific Oscillation». Ce refroidissement prolongé du Pacifique équatorial peut expliquer le refroidissement du hiatus. Pour Trenberth la PDO est l’élément essentiel qui pilote les deux hiatus connus du XXème siècle. On a vécu depuis 2000 le pôle négatif (froid dans le Pacifique équatorial) de la PDO. On entre maintenant, en 2015, avec le gigantesque El Niño qui se développe actuellement sur l’ensemble du Pacifique équatorial, dans un pôle chaud de la PDO, ce qui devrait définitivement éteindre dans l’immédiat toutes manifestations d’un improbable hiatus.

Trenberth règle aussi leur compte aux partisans des forçages externes et du tout Soleil qui, selon eux, serait susceptible d’expliquer le hiatus. Certes il admet qu’il existe des forçages externes qui peuvent contribuer à réduire le réchauffement anthropique comme les éruptions volcaniques, les aérosols et la variation naturelle du flux radiatif solaire. Mais, pour lui, leur contribution totale est minoritaire (moins de 20 %) et ces forçages peuvent jouer dans les deux sens. Ainsi, les aérosols émis dans l’atmosphère par l’activité industrielle très polluante des années 1945 – 1970 ont pu atténuer le flux radiatif solaire incident et freiner ainsi le réchauffement expliquant le hiatus 1945-1970. Mais, après les réglementations internationales prises à partir de 1970 dans les pays développés pour réduire leurs émissions d’aérosols, leur rôle joua dans l’autre sens.

Meehl présente une synthèse des connaissances (en 2015) sur la variabilité de la température moyenne de surface de la Terre et le hiatus qui complémentent les perspectives et les hypothèses de Trenberth exposées précédemment. Incontestablement les variations à long terme (plus de 50 ans) de cette température moyenne du globe sont dominées par le réchauffement induit par les émissions de gaz à effet de serre de l’humanité. Cependant superposé à cette tendance à long terme on observe une variabilité décennale illustrée par le hiatus. Toutes les questions et les polémiques qui ont été soulevées pour l’expliquer ont contribué à étudier et mieux comprendre cette échelle de variabilité décennale. Meehl a pu mettre en évidence une relation entre le hiatus et la phase négative de la PDO «Pacific Decadal Oscillation». Lorsque celle-ci affecte le Pacifique équatorial par des températures un peu inférieures à la moyenne, le taux d’accroissement de la température moyenne de la surface de la Terre est moins élevé qu’en moyenne (0,11 degré C durant un hiatus pour 0,18 degré C en moyenne générale depuis 1900). Généralisant ce concept, Meehl l’applique à l’ensemble de la série temporelle disponible et fiable, c'est-à-dire corrigée de ses biais dus aux évolutions des instruments de mesure (principalement le réseau ARGO) et montre qu’il y a eu dans le passé de nombreuses périodes où le taux d’élévation de la température a ralenti étant marqué par une phase négative de la PDO.
Meehl note également que beaucoup d’efforts ont été déployés pour trouver des explications à ces processus non seulement pour identifier une composante décennale dans la variabilité du climat mais aussi et surtout pour en comprendre le mécanisme profond. Certains auteurs, nous dit Meehl, ne sont pas allé très loin au-delà d’une formulation très générale impliquant la variabilité intrinsèque du système climatique pour expliquer les hiatus. Mais Meehl lui-même a franchi un pas important en mettant en évidence, à l’aide d’un modèle pour la première fois, que les décennies hiatus correspondaient à un accroissement du contenu thermique des couches océaniques au- dessous de 300 mètres de profondeur, alors qu’au-dessus le contenu thermique diminuait, ce qui indiquerait que durant les périodes à hiatus il existerait un enfouissement de la chaleur dans les profondeurs océaniques.
Un autre fait d’observation important est relatif à la répartition par océan de cet enfouissement de la chaleur en profondeur. Les alizés du Pacifique sont très intenses durant les pôles négatifs de la PDO comme ce fut le cas au cours du hiatus 1998 – 2012, mais la quantité de chaleur qui est absorbée au-delà de 300 mètres de profondeur dans le Pacifique est seulement la moitié du total. L’autre moitié serait absorbée par l’AMOC de l’océan Atlantique (Atlantic Meridional Overturning Circulation), ainsi que par l’océan Indien sud et l’océan austral. Meehl reconnaît que beaucoup d’inconnues demeurent notamment en ce qui concerne la redistribution de la chaleur dans l’océan profond et sa répartition par océan.

1 - Trenberth K. : «Has there been a hiatus ?», Sciences, 2015.
2 - Meehl G. : «Decadal climate variability and the early-2000s hiatus», US CLIVAR Variations, 2015

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