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Octobre 2017

1/1 Pour amener le climat à un état stable après la perturbation anthropique, il faudra retirer du gaz carbonique de l'atmosphère. Le coût en sera très élevé si nous ne réduisons pas rapidement nos émissions.

Yves Dandonneau

Dans un article récent paru dans la revue Earth Systems Dynamics sous le titre «Young people’s burden : requirement of negative CO2 emissions», qu'on peut traduire par «un fardeau pour les futures générations : le besoin d'émissions négatives de CO2», James Hansen et 14 autres auteurs se basent sur ce qu'on sait du climat pour évaluer les conséquences, au siècle prochain, des mesures que nous allons prendre pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, et pour quantifier les émissions négatives de gaz carbonique auxquelles il faudra recourir pour stabiliser le climat dans un état qui nous soit favorable. Ces émissions négatives sont l'inverse des émissions, c'est à dire des retraits de gaz carbonique de l'atmosphère. Ils concluent que les objectifs de réductions volontaires des émissions, adoptés par les états lors de la COP 21 en 2015 nous conduiraient à des teneurs en gaz carbonique dans l'atmosphère bien supérieures à 350 parties par million (ppm, on en est à 405 ppm !). La teneur de 350 ppm est le seuil au delà duquel ils considèrent que le réchauffement climatique risque d'évoluer vers des situations que nous aurions beaucoup de mal à gérer.

La prévision du climat sur des durées aussi longues se heurte à de nombreuses incertitudes. Le réchauffement en cours résulte d'un déséquilibre radiatif : depuis plusieurs décennies, la Terre émet moins de rayonnement qu'elle n'en reçoit du Soleil. Cependant, 93 % de la chaleur ainsi gagnée va dans les océans, d'abord dans la couche de surface, puis, par mélange, dans les eaux profondes. Or ce mélange est lent et mal connu. Le déséquilibre radiatif dépend de la température de la Terre, et de la nature et de la concentration en gaz à effet de serre. Le plus important de ces gaz, le gaz carbonique, interagit avec les océans et la biosphère en fonction de la température. Les interactions sont très nombreuses, souvent mal connues, et leurs effets se font sentir avec beaucoup de retard (voir encart ci-après).

Pour atteindre leur objectif, les auteurs ont simplement choisi d'associer modèle et relations empiriques de la façon suivante :

Ce modèle est mis en œuvre pour divers scénarios, incluant les «representative concentrations pathways» utilisés dans le dernier rapport du GIEC, ainsi que d'autres scénarios, du plus économe en CO2 (diminution de 6 % par an des émissions à partir de 2020) au plus pollueur (où ces émissions croissent de 2 % par an jusqu'à atteindre 25 GtC/an). Le scénario à - 6 % par an est bien entendu celui au terme duquel on obtient la température (0,5 °C au dessus de la température maximum au cours de l'Holocène) et la concentration en CO2 (390 ppm) les plus basses. Celui à -3 % aboutit à 415 ppm, et le scénario avec des émissions constantes à 540 ppm.

Or, les auteurs considèrent qu'au delà de 350 ppm, un nouvel équilibre climatique s'établirait à une température supérieure à celle du maximum de l'Holocène. Dans ces conditions, le risque existe que les rétroactions lentes s'accélèrent et qu'il y ait un basculement du climat. En particulier, les surfaces englacées des zones polaires pourraient se réduire, les émissions de méthane des pergélisols s'emballer, ou les sols perdre leur carbone sous forme de gaz carbonique (un réchauffement de 1°C du sol entraîne une perte de 30 GtC de carbone vers l'atmosphère, et + 2 °C entraînerait 55 GtC, soit l'équivalent d'environ 6 ans de nos émissions actuelles de gaz carbonique). L'emballement de la fonte des calottes polaires constitue un risque majeur : en effet, au cours de l'Eémien (c'est à dire le précédent interglaciaire), avec une température supérieure de seulement 1°C à celle de l'époque préindustrielle, le niveau des océans était plus élevé de 6 à 9 m.

Pour passer au dessous de concentrations en gaz carbonique qui, à moyen terme, déstabiliseraient le climat, il sera nécessaire de recourir à des émissions négatives.
Les solutions les moins coûteuses sont celles qui consistent à reconstituer la matière organique des sols et à fixer du carbone dans les forêts et les prairies. Toutefois, cette première catégorie de solutions ne pourrait retirer, selon les auteurs, que 100 GtC de carbone environ, soit, tout de même, l'équivalent de 10 ans de nos émissions actuelles. C'est cependant moins que les 153 GtC qu'il faudrait retirer de l'atmosphère dans le cas où les émissions décroîtraient de 6 % par an à partir de 2020. Si ces émissions diminuent de 3% par an, ou continuent au rythme actuel, c'est respectivement 237 ou 695 GtC qu'il faudrait retirer.
Pour aller au delà de ces 100 GtC qui pourraient être stockées dans les sols, il faudra faire appel à des techniques beaucoup plus coûteuses. Celle qui est la plus envisagée actuellement, consiste à prélever le gaz carbonique à la source, à la sortie des centrales électriques thermiques, et à l'enfouir. D'autres techniques sont à l'étude, pour prélever le gaz carbonique à faible concentration dans l'atmosphère, en utilisant de l'énergie solaire ou éolienne. Les coûts de ces techniques seront très difficilement à notre portée. Des politiques vigoureuses de réduction de nos émissions sont donc nécessaires le plus vite possible pour ne pas alourdir le besoin d'émissions négatives dans le futur.

Les résultats de cette publication peuvent susciter des discussions. D'un point de vue strictement scientifique, les choix qui sont faits de certains paramètres (par exemple, la valeur de la sensibilité climatique, ou du seuil critique à 350 ppm de CO2) sont quelque peu arbitraires. Et les conclusions n'apportent rien de nouveau à la connaissance du climat. Cependant elles signalent un risque réel, à long terme, que nos sociétés n'ont encore pas bien pris l'habitude de traiter, mais qu'elles ne peuvent pas négliger. Au moins doivent elles le connaître.

L'ajustement du climat à la perturbation anthropique : un processus très lent

Il nous est difficile de concevoir que le climat du siècle prochain est conditionné par le gaz carbonique que nous avons rejeté dans l'atmosphère depuis le début de l'ère industrielle, difficile aussi de voir dans le climat actuel, qui a encore peu changé, les menaces qui pèsent sur le futur. L'évolution très schématique ci dessous, imaginée à titre d'exemple, peut aider à comprendre cette lenteur d'un retour à un nouvel équilibre.

Phase 1 (1880 - actuel) :
Les émissions de gaz carbonique ont commencé avec l'ère industrielle et elles ont cru jusqu'en 2015 où elles semblent se stabiliser. Jusqu'en 1980, la concentration de l'atmosphère en gaz carbonique a augmenté de 1 ppm/an, et par la suite, de 2 ppm/an. La moitié environ de ces émissions a été absorbée par les océans et par les écosystèmes terrestres. Cette croissance de la concentration en gaz carbonique fait que la terre reçoit plus de rayonnement au sommet de l'atmosphère qu'elle n'en émet, et elle se réchauffe. Nous le savons en regardant l'évolution de la température moyenne globale (0,18 °C par 10ans depuis 1970). Cette différence entre le rayonnement reçu et le rayonnement émis par la Terre constitue le forçage radiatif, qui s'est accru de 0,4 W/m2 tous les 10 ans.

Phase 2 (actuel - 2050) :
La poursuite des émissions, même si celles ci se stabilisent ou diminuent donne tout de même lieu aux augmentations de la concentration en gaz carbonique de l'atmosphère, du forçage radiatif et de la température. Avec l'augmentation de la température de la Terre, le rayonnement qu'elle émet depuis le sol tend à augmenter, sans pour autant équilibrer le bilan radiatif de la Terre : un forçage radiatif subsiste.

Phase 3 (2050 - 2100) :
Arrêt des émissions. À cause du forçage radiatif qui subsiste, la Terre continue de se réchauffer. Ce faisant, le rayonnement qu'elle émet augmente doucement. D'un autre côté, les océans absorbent peu à peu du gaz carbonique de l'atmosphère, à mesure que le mélange amène en surface des eaux profondes dont la teneur en gaz carbonique correspond à l'équilibre climatique qui prévalait avant l'ère industrielle. La diminution de la concentration en gaz carbonique de l'atmosphère et l'augmentation du rayonnement émis par la Terre tendent à réduire le forçage radiatif.

Phase 4a (2100...) :
On a pu procéder à des émissions négatives suffisantes pour abaisser la concentration en gaz carbonique à un niveau tel que le rayonnement émis par la terre et celui qu'elle reçoit s'équilibrent. Le climat est alors stabilisé.

Phase 4b (2100...) :
On n'a pas su procéder à suffisamment d'émissions négatives et le forçage radiatif se poursuit. La température moyenne de la Terre continue d'augmenter. Elle atteint un niveau critique. La matière organique des sols, en particulier celle des pergélisols, s'oxyde rapidement, faisant augmenter la concentration en gaz carbonique de l'atmosphère et renforçant l'effet de serre. Les calottes polaires se réduisent et réfléchissent une part moindre du rayonnement solaire, augmentant ainsi le forçage radiatif : la fusion des calottes s'accélère et le niveau des océans s'élève rapidement d'une dizaine de mètres, ou davantage.

Flèche

Référence :

Article paru dans Earth Systems Dynamics. 14 auteurs coordoné par James Hansen.