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Les News

Février 2019

Yves Dandonneau

1/1 Walter Munk, précurseur de l'océanographie moderne, est décédé le 8 février 2019 à l'âge de 101 ans.

Les débuts de Walter Munk

Né en 1917 à Vienne (Autriche-Hongrie), Walter Munk est envoyé en pension à l'age de 15 ans dans une école de l'État de New York. Il décroche une licence en physique au "California Institute of Technology" en 1939, à l'age de 22 ans.
Quelques années plus tard, jeune chercheur en océanographie, il apprend que les Alliés se préparent à débarquer en Afrique du Nord. Il s’inquiète des risques liés aux états de mer et aux conditions défavorables à un accostage...
Après diverses peripéties, la perséverance est récompensée : ses connaissances sur les vagues et les marées sont prises en considération lors de la préparation du débarquement en Normandie ! Une légende nait : un chercheur a participé au choix de la date du 6 juin 1944 !

Quel prélude à la fantastique carrière de Walter Munk !

Une carrière qui couvre autant les aspects théoriques que les applications pratiques, et dans laquelle la qualité des résultats scientifiques le dispute à... leur diversité !
De la propagation du son dans l'océan en vue d'estimer son réchauffement, jusqu'à la prédiction des vagues géantes qu'affectionnent les champions de surf, sans oublier la dissipation de l'énergie des marées et son effet sur la rotation diurne : l'allongement de la durée du jour !

Voir : Histoire de voyages et de sciences

Walter Munk

Plusieurs parmi les Argonautes ont eu l'occasion de le rencontrer lors de congrès ou de de réunions de travail. Lors des réunions mensuelles du Club, nous avions très souvent l'occasion de nous rappeler ses résultats et sa personnalité. C'étaient à chaque fois de bons souvenirs, car son enthousiasme communicatif, son élégance, son inventivité, faisaient l'unanimité.

C'est généralement lorsque nous discutions de l'apport de l'altimétrie satellitaire à la connaissance de la circulation océanique à la fin des années soixante dix, un de nos thèmes favoris, que nous évoquions sa contribution aux remarquables progrès des connaissances dans ce domaine : une des difficultés en effet était d'estimer la dissipation de l'énergie des marées, ce que menèrent finalement à bien ses collègues Carl Wunsch et Christian Le Provost. Océanographe, et aussi astronome, Walter Munk s'est lui aussi beaucoup impliqué dans cette recherche. Il avait dès 1966 compris le lien entre celle ci et l'éloignement de la Lune, et le ralentissement de sa rotation et de celle de la Terre, termes que les astrophysiciens connaissent avec une grande précision. Ses travaux sur la propagation et la dissipation des ondes océaniques contribuèrent très significativement à cette réussite. Le contraste entre la voie élégante de l'astrophysique et la difficulté de l'approche par observations et modèles illustre bien l'étendue de ses compétences.

Étant donné son domaine de recherches - la production primaire marine et le cycle du carbone – l'un de nous aurait pu ne jamais rencontrer Walter Munk ; Il a cependant eu cette chance en 1988, au cours d'une réunion qui avait pour thème les interactions physique- biologie dans l'océan. Dans son discours d'ouverture, Walter Munk avait opposé de manière provocatrice le suréchantillonnage à l'intelligence. Il y avait abondance d'exemples qui mettaient en évidence les connaissances récentes permises par les appareils capables d'enregistrer en continu les propriétés de l'océan, ou de l'observer dans sa globalité depuis l'espace. Et dans bien des cas, les séries d'observations ainsi acquises révélaient des pans entiers de connaissances nouvelles, ignorées jusqu'alors par les constructions intelligentes qui guidaient les progrès de l'océanographie. Alors, inutile, l'intelligence ? À l'écouter, c'est bien le contraire qu'on ressentait.

On parlait alors beaucoup de tomographie acoustique : sachant que la vitesse de propagation du son dans l'eau dépend de la température, il s'agissait de disposer dans l'océan en divers endroits et diverses profondeurs des sources sonores et des microphones, afin de déduire la structure thermique de l'océan à partir des durées de propagation du son et de calculs compliqués. C'était complexe, et difficile à mettre en œuvre, et tout ceci pour un résultat éphémère puisque l'océan change en permanence. Quel contraste avec l'étonnant projet imaginé par Walter Munk : avec une seule source sonore, placée près de Heard Island dans l'Océan Antarctique, d'où le son peut se propager librement vers les trois grands océans Atlantique, Indien et Pacifique, et avec des microphones disposés au nord de ces océans, il s'agissait rien de moins que d'estimer le volume de la couche d'eau chaude océanique. L'immensité de la zone couverte permettait de s'affranchir de la variabilité à moyenne échelle de la circulation océanique. En répétant l'expérience, il était possible d'estimer la vitesse du réchauffement climatique en cours. Bien sûr, il fallait une forte émission sonore, une énorme explosion. Et la faune locale en aurait pâti. Le projet ne se fit donc pas. Mais quelle belle idée.

Walter Munk s'est intéressé à beaucoup d'aspects de l'océanographie. On peut citer son travail sur les vagues de surface qui est à la base de la scatterometrie, qui permet d'estimer par satellite la vitesse du vent.

Début juin 1944, il fut celui qui indiqua au général Eisenhower que l'état de la mer le 6 juin offrirait des conditions acceptables pour le débarquement ! Encouragé par son épouse Judith dont l'activité était centrée sur l'art, il étudia les marées et leur effet sur Venise.

Brillant et communicatif dans ses activités scientifiques nombreuses et variées, il n'apparaissait cependant pas comme un bourreau de travail, et ces qualités se prolongeaient dans sa vie privée. Ceux qui ont connu son épouse se souviennent à quel point il était dévoué pour l'aider dans son handicap, sans jamais se départir de sa bonne humeur : un prince de la renaissance disait-on parfois de lui.

A lire :

Scripps institution of Oceanography

The Evolution of Physical Oceanography in the Last Hundred Years. Walter Munk. Opening ceremony of the Lisbon 1998 EXPO.

Discours de W.Munk lors de la remise du prix Inamori.

Wikipedia

New York Times

Voir aussi les publications du site :

Qu'en est-il de la dissipation de l'énergie des marées ?

Océanographie opérationnelle - Les modèles numériques

Prix Christian Le Provost - Vagues et système terre du vent aux microséismes en passant par la dynamique littorale : géophysique et applications - Fabrice Ardhuin (voir en particulier l'histoire de la prévision des vagues à partir de la diapositive 17)